En théorie, les personnes handicapées et à mobilité réduite peuvent accéder à des services spécifiques de transport en commun dans la plupart des collectivités locales dotées d’un réseau de transport en commun. La réalité du terrain est malheureusement bien plus complexe alors que quelques efforts de simplification pourraient être facilement accomplis.  

Alors qu’elles n’y sont pas obligées au sens strict, les collectivités locales disposant de la compétence mobilité mettent souvent en place un service de transport PMR (Personnes handicapées et à Mobilité Réduite selon la terminologie européenne). Ce service dit TPMR est dédié à certaines personnes (selon des critères locaux) dont les capacités physiques ou cognitives ne leur permettent pas de prendre les transports en commun habituels/standards sans aide extérieure. Les autres personnes sont dites présumées valides. 

Pendant de nombreuses années, les gestionnaires de réseaux ont mis en place, à la demande de leurs autorités organisatrices des mobilités, un processus de sélection pour les potentiels bénéficiaires de ce service de porte à porte, financé par la collectivité. Au fur et à mesure des années et des contextes locaux, des exigences de plus en plus fortes et nombreuses se sont faites jour : justificatif de domicile, certificat médical, passage en commission d’examen de la demande, demande de motivation du déplacement (travail, loisir, prioritaire ou non prioritaire, etc.), participation à des réunions de présentation du service, etc.  

En théorie, tout va bien  

Accéder à ces services nécessitait d’accomplir des démarches de plus en plus lourdes pour des personnes à la vie déjà rendue complexe par leur état de santé. A l’occasion de la Loi d’Orientation des Mobilités, l’Etat a pris en main le sujet et a inscrit dans la LOM plusieurs mesures, au-delà de l’accès aux TPMR, pour faciliter le déplacement de personnes à mobilité réduite :  

  • Des transports à la demande plus ouverts : lorsqu’il existe un service de transport adapté aux personnes handicapées et à mobilité réduite, la LOM instaure la suppression de toute obligation de résidence sur le territoire et de passage devant une commission médicale locale. En d’autres termes, ce service est désormais accessible aux personnes de passage. Cette mesure concerne, à minima, les personnes handicapées et à mobilité réduite disposant d’une Carte Mobilité Inclusion mention invalidité (avec un taux supérieur à 80 %) selon le public cible choisi localement : uniquement les personnes en fauteuil roulant ou également les personnes aveugles, voire d’autres handicaps. Pour les autres, c’est au bon vouloir de chaque collectivité.  
  • Des informations sur l’accessibilité des transports : les autorités gestionnaires des transports, les opérateurs de transport et les gestionnaires de voirie (généralement les communes et les intercommunalités) ont l’obligation de constituer des bases de données décrivant l’accessibilité des transports et de la voirie afin d’alimenter les calculateurs d’itinéraires et de donner l’information indispensable aux déplacements des personnes handicapées. Pour renforcer cette obligation, il est inscrit dans le code des transports que « le droit à la mobilité comprend le droit pour l’usager d’être informé sur les moyens qui lui sont offerts et sur les modalités de leur utilisation (article L1111-4 du code des transports) et que les Régions veillent à l’existence d’un service d’information à l’intention des usagers, portant sur l’ensemble des modes de déplacement dans leur ressort territorial (article L1115-8 du code des transports).  
  • Des tarifs spéciaux pour les personnes accompagnatrices : l’intégralité des services de transports collectifs terrestres est dans l’obligation de proposer des tarifs préférentiels, pouvant aller jusqu’à̀ la gratuité, aux accompagnateurs des personnes handicapées ayant une carte mobilité inclusion (CMI), quelle que soit la mention (invalidité, stationnement, priorité), qui ne peuvent voyager seules.  
  • La mise en place, d’ici janvier 2024, d’une plateforme unique de réservation des prestations d’assistance en gare pour éviter aux personnes ayant besoin d’assistance de sélectionner le bon service parmi plus de 18 plateformes (par opérateur, par grande ligne, par région, etc.).  

Et plus concrètement ?  

Au-delà de la bonne volonté affichée par l’existence du service de transport dédié, regardons dans le détail comment accéder réellement à ce service. Est-il facile de s’inscrire ? Quel délai entre l’inscription et le moment où il est effectivement possible de se déplacer ?   

Nous avons passé en revue 30 réseaux de transport TPMR, en France et en outre-mer. Conclusion : les habitudes ont la vie dure et les marges de progression sont indéniables.  

  • Premier enseignement : il vaut mieux chercher le réseau dédié et son nom spécifique en faisant une recherche distincte sur un navigateur plutôt que de se rendre sur le site internet du réseau « principal ». En effet, le nom du réseau est dans 100% des cas très différent de celui du réseau principal. Trouver celui-ci sur le site principal n’est pas facile dans l’immense majorité des cas. Pour une des collectivités, le service de TPMR est totalement absent du site principal.  
  • Deuxième enseignement : Il ressort de cette enquête réalisée sur la base des sites internet des réseaux que l’inscription des personnes souhaitant utiliser ces services – rappelons qu’il s’agit de personnes dont les handicaps, physiques ou psychiques sont évalués à 80 % d’incapacité pour la majorité d’entre eux – est extrêmement et inutilement compliqué :  
  •  Télécharger un ou plusieurs formulaires : Dans 29 cas sur 30, la personne, son aidant ou son aidante, doit commencer par télécharger un fichier qui devra être imprimé et ensuite rempli à la main. A l’heure des applications et des formulaires en ligne, les personnes handicapées doivent accomplir des tâches que même les personnes parfaitement valides rechignent à accomplir. Seul un réseau propose un formulaire en ligne simple et facile à comprendre. Un second réseau propose cette modalité d’inscription mais il est incompréhensible en ce qui concerne des critères importants. A noter qu’il est souvent possible d’avoir accès à des opérateurs par téléphone pour compléter le dossier mais ce n’est pas systématique. On peut aussi se poser la question de l’accessibilité numérique de ces sites (pour les personnes aveugles ou malvoyantes).  
  •  Accéder à une information voyageur partielle ou inexacte : Dans de nombreux cas, les réseaux n’ont, 3 ans après la promulgation de la LOM, pas encore apporté les modifications demandées par la loi. 90% des réseaux n’affichent pas que la CMI mention invalidité donne accès sans justificatif de domicile ni commission d’examen au service de transport adapté. Pour les personnes handicapées n’ayant pas été déclarées éligibles à la CMI, il faut remplir le dossier et passer par une commission médicale. NB : la CMI est souvent délivrée avec un long délai par rapport à la demande faite auprès de la MDPH. Il existe donc un délai de latence souvent supérieur à 1 an pour les personnes dont l’incapacité arrive au cours de l’âge adulte et avant la retraite.  
  •  Passer en commission et/ou participer physiquement à une réunion de présentation du service : Alors qu’elles sont censées être interdites par la loi, il existe encore des commissions d’examen des demandes. Les informations sur ces commissions, à l’exception de leur composition, sont la plupart du temps parcellaires. Dans la plupart des cas, il est en outre nécessaire de participer à une réunion d’information sur le système pour pouvoir en bénéficier. NB : On peut d’ailleurs légitimement se demander comment ces personnes vont se rendre à cette réunion d’information puisqu’elles ne peuvent accéder au service TPMR avant cette participation effective. Sur internet, il n’existe aucune vidéo récente et facile à trouver qui présenterait le service d’une des collectivités étudiées pour permettre aux personnes concernées de s’affranchir de la participation à cette réunion dont les dates d’organisation ne sont pour la plupart pas communiquées. Il faut noter que d’autres services de transport de personnes handicapées leur sont délivrés sans ces réunions : taxi TPMR, assistance en gare.  

Des solutions simples et peu onéreuses existent  

4 ans après l’entrée en vigueur de la LOM, les réseaux de transport sont donc très en retard pour appliquer les nouvelles dispositions prévues dans la loi et se déplacer en transports en commun est toujours aussi compliqué pour les personnes handicapées et à mobilité réduite.   

La mobilité est un droit exprimé à l’article 1er du Code des Transports et les personnes handicapées et à mobilité réduite doivent pouvoir l’exercer exactement au même titre que les personnes présumées valides.  L’accessibilité des transports est l’un des premiers moyens nécessaires pour une personne handicapée de pouvoir accéder au savoir, occuper un emploi, exercer une activité professionnelle, participer aux activités sportives, culturelles et de loisirs, partir en vacances… Même si toutes ne sont pas à mobilité réduite, les personnes handicapées en France représentent 20% de la population. La question de l’accessibilité n’est donc pas un sujet accessoire.  

Nous souhaiterions terminer cet article par plusieurs recommandations simples et faciles à appliquer  

  • Prendre connaissance des dispositions applicables, et se les approprier. La Délégation Ministérielle à l’Accessibilité met à disposition une fiche pédagogique qui synthétise les nouveautés apportées par la loi LOM  
  • Elargir le champ d’application en mettant l’usager handicapé et à mobilité réduite au centre de la réflexion en lieu et place des contraintes d’exploitation, techniques et économiques. Cette stratégie est mise en œuvre depuis de nombreuses années pour les personnes présumées valides. Trouver le réseau dédié aux personnes handicapées et à mobilité réduite devrait pouvoir se faire en un clic sur les sites internet des réseaux principaux. Il devrait également pouvoir être facile d’utiliser ces services en cas de handicaps temporaires (membre inférieur blessé ou station debout difficile, grossesse compliquée …)  
  • Numériser complétement le processus de demande en ligne : remplacer les formulaires à télécharger, à imprimer et à remplir par des formulaires en ligne accessibles, ne reprenant que les informations strictement nécessaires à la bonne exécution du service et en validant sa bonne compréhension par les personnes concernées et/ou leurs aidants  
  • Mettre fin aux commissions d’évaluation des besoins des personnes et se baser uniquement sur l’expression de besoins de celles-ci. On peut comprendre que le service étant onéreux rapporté au kilomètre.voyageur transporté, les réseaux veuillent maîtriser le nombre de demandes ; mais on peut aussi considérer qu’une personne suffisamment valide pour se déplacer seule n’aura que peu d’intérêt à demander à bénéficier d’un service réservé aux personnes à mobilité réduite et qui doit être commandé à l’avance… 
  • Consulter les résultats de la seconde étude réalisée par les services du Ministère et s’inspirer des meilleures pratiques (https://www.ecologie.gouv.fr/laccessibilite-des-transports-collectifs). Par exemple, à Lorient Agglomération, si le voyageur ou la voyageuse dispose d’une carte TPMR d’une autre collectivité, il ou elle peut utiliser le réseau TPMR de Lorient Agglomération. Cette étude du ministère des Transports sera mise à jour chaque année comme prévu dans la LOM.  

Et vous ? Vous proposeriez quoi pour rendre les transports accessibles aux personnes handicapées et à mobilité réduite ?  

 

Par Marie-Xavière Wauquiez et Olivier Nau